Tout individu construit sa personnalité tout au long de sa vie, il se sociabilise dans et par le milieu dans lequel il se développe. Cela se fait au travers des trois processus de sociabilisation que sont l'adhésion aux valeurs de la société (par exemple le respect de la politesse), l'acceptation des normes (les lois et règlements, par exemple s’arrêter à un stop) et enfin le statut social (rôle et position de la personne dans la société). En outre, il est admis qu'il y a plusieurs étapes dans la vie d'un individu et que le passage de la vie active à la retraite est l'un de ces moments particuliers qui implique un nouveau statut, un nouveau rôle, qui suppose de ce fait une certaine reconstruction identitaire. Contrairement à d'autres sociétés dans lesquelles l'ancêtre a une place importante, dans la société occidentale le senior a un statut secondaire. Or, en même temps, avec l'actuel culte du jeunisme, on nous fait croire qu'une personne âgée pourrait, devrait, conserver jusqu’au bout de sa vie sa santé physique, son optimisme, sa joie de vivre, sa curiosité intellectuelle... Mais le vieillissement est inéluctable, il fait partie intégrante de la vie. Nous n’avons qu’une alternative : mourir ou vieillir. Alors, vu sous cet angle, mieux vaut vieillir ! Le vieillissement dit normal est la sénescence, soit la perte progressive et naturelle de nos fonctions. Elle sera vécue différemment par chaque individu. Les modifications ne seront pas toutes les mêmes pour tout le monde et cette sénescence pourra être aggravée par la maladie et le handicap. Toutefois, le mode de vie et les progrès de la science ont fait reculer l’espérance de vie. C’est donc dans un contexte de longévité croissante, mais aussi d'évolution de la cellule familiale désormais souvent réduite à la famille nucléaire (soit le couple et ses enfants), qu’une question existentielle se pose : pour le bien-être de la personne, faut-il la maintenir à son domicile ou doit-elle être placée dans un établissement d’accueil ?
Les personnes âgées, mais aussi leurs familles, ont souvent du mal à faire ce choix, à évaluer tant leur propre bien-être que celui du proche fragile tout en tenant compte des capacités réelles de la personne âgée. En effet, il y a une différence entre l’indépendance, donc la capacité de la personne à faire seule et à dire « je peux », et l’autonomie, donc la capacité de la personne âgée à choisir seule en disant « je veux ». Et cette différence est fondamentale puisqu’être autonome n’implique pas forcément être indépendant. Il est possible d’être autonome, et donc savoir ce que l’on veut faire, mais ne pas pouvoir le réaliser physiquement pour autant, et donc d'être dépendant. En France, le niveau de dépendance des personnes âgées est classé en six groupes dits « iso-ressources » et à chacun de ces GIR correspond un niveau d'aide nécessaire à la personne âgée pour accomplir les actes essentiels de la vie quotidienne. En prenant de l’âge, les modifications sont en effet nombreuses. Si les plus visibles sont celles qui touchent le corps, d’autres, plus discrètes, peuvent diminuer tout autant la personne. Tout d’abord la personne peut rencontrer des changements au niveau organique, par exemple des troubles liés aux cinq sens, les trois sens de proximité que sont l'odorat, le goût et le toucher, et les deux sens de distance que sont l’ouïe et la vue. Lorsque les personnes perdent les sens de distance, elles deviennent dépendantes des sens de proximité. Ainsi, la perte de l’audition et de la vue majoreront leur isolement. Sont également en cause les maladies cardiovasculaires, les maladies respiratoires, les atteintes rhumatologiques ou encore les problèmes digestifs qui fragilisent la personne. On peut alors constater des changements psychomoteurs et l’état physique de la personne se dégrade avec les années. Ainsi, la sarcopénie est une pathologie liée au vieillissement caractérisée par une diminution progressive de la masse musculaire. Est encore à noter le vieillissement cognitif avec des maladies neurologiques tels Alzheimer, Parkinson et les démences vasculaires. La « démence » n’est toutefois pas une maladie spécifique, c’est un terme global employé par les professionnels pour décrire un large éventail de symptômes associés à un déclin de la mémoire ou d’autres aptitudes cognitives. Ce déclin est assez grave pour réduire la capacité d'une personne à exécuter seule les activités quotidiennes.
A côté, ou à cause, de tous ces changements physiques et cognitifs, la personne âgée est aussi exposée à des changements psychoaffectifs et sociaux qui la fragiliseront. Ainsi, la personne vieillissante vivra autrement de nombreux événements et devra faire différents deuils comme la perte de ce qu’elle était, de ce qu’elle n’a pas pu être, de ce qu’elle ne sera jamais. L’ensemble de ces modifications va entraîner des modifications de l’estime de soi, de l’image de son corps et donc de son identité. Cependant restons positifs : certaines personnes âgées continuent à avoir plaisir à vivre malgré les réajustements de la vie quotidienne. C’est ce que l’on appelle en haptonomie la libido vitalis (désir et plaisir de vivre).
Mon rôle dans cette étape de vie sera de restituer à la personne fragilisée par le vieillissement sa raison de vivre et aussi de considérer l’entourage comme facilitateur du bien-être des personnes âgées touchées par le handicap et la maladie. Il est important de considérer et valoriser les aidants professionnels et naturels. Le proche aidant est avant tout une personne dont le statut n’est pas réellement déterminé, même si son rôle tend aujourd’hui à être reconnu dans les lois relatives à l’adaptation de la société vieillissante, comme le droit au congé du proche aidant et l’aide au répit. Le rôle d’aidant naturel n’est pas toujours choisi. Ce non-choix est l'une des principales causes de l’accompagnement mal vécu. Par ailleurs, l’aidant peut cumuler le statut d’aidant et celui de personne âgée, parfois difficiles à concilier. Pour prendre en soin les personnes aidantes il sera important de leur laisser le temps d’atteindre l’acceptation. Lors de nos séances je leur apporte du réconfort, je les écoute et je les soutiens. Si nous visons à améliorer la vie des aidants nous aidons par ricochet celle des aidés.
La société a une grande facilité à réduire le bien-être des personnes âgées au confort matériel, or ce n’est pas considérer les personnes que de réduire leur bonheur à des choses superficielles. La personne vieillissante a droit à sa dignité. Les aînés qui doivent affronter les difficultés liées à la vieillesse en sont affectés tant au niveau psychologique que social. Ils perçoivent souvent le regard négatif des autres, l’infantilisation et la mise en retrait. La perte d’autonomie physique les apeure. Les chutes à répétition sont généralement une des raisons d'admission en EHPAD car ces sujets âgés ne veulent plus marcher. Par ailleurs, les problèmes de santé peuvent entraîner des conséquences humiliantes comme l’incontinence, qui place les aînés dans l’inconfort, la gêne voire la honte. D'autre part, les épisodes de maladie, de perte d’autonomie et de deuil affecteront leur estime de soi. Pour tout cela, les personnes âgées vivront des sentiments d’inutilité, d’incompétence et ainsi se dévaloriseront. La réaction face à son propre déclin dépend de chacun. Ainsi la colère exprimée chez certains sujets laisse entendre leur sentiment de manque de reconnaissance car, s’ils peuvent capter les émotions, ils peuvent aussi en être émetteurs. La privation de stimulations sensorielles et affectives augmente les effets de certains troubles cognitifs et peut rendre confus ceux qui en sont victimes. Physiquement, ces émotions cumulées peuvent créer une sorte de cuirasse chez eux et entraîner des postures de protection, de crispation. Certains ne se laissent ni approcher ni toucher car ils se protègent de leur propre ressenti, ou bien n’ont pas goûté aux expériences agréables du contact thymotactile. Les sensations douloureuses peuvent contraindre certaines personnes âgées à prendre des positions dites vicieuse. Alors, les membres se recroquevilleront jusqu'à parfois adopter une position fœtale. L’important pour moi est de réussir à approcher correctement la personne, en respectant son territoire, et d’opter pour des gestes lents, afin de lui accorder le temps de la réaction. Le toucher contact que je réalise auprès de ces personnes douloureuses, et celles qui sont en fin de vie, sont prodigués avec la plus grande délicatesse, de façon enveloppante et réconfortante. Aussi, les sachant très fatigables, je veillerai à adapter le rythme et le temps de soin à leurs besoins. Le sentiment de solitude est une plainte souvent évoquée par les personnes âgées. Cela a un effet négatif, sur la santé, entraînant des troubles du sommeil, de l’appétit, et participant à l’anxiété qui peut se transformer en angoisses. Ma présence ne doit pas seulement viser à atténuer le sentiment de solitude mais doit aussi permettre de donner à la personne les moyens d’être en mesure d’investir la relation. Ce que je constate chez les personnes vieillissantes est que, à force d'accumulation de stress dû tant à des changements de statuts qu'à des pertes, leur autonomie diminue et certaines s'épuisent et abandonnent les forces de vie. Or, la mémoire affective est la faculté cognitive qui résiste le mieux au temps qui passe et que nous conservons le plus longtemps. C’est pourquoi stimuler la force vitale des personnes âgées grâce au sens du toucher est la clé pour les accompagner jusqu’au bout de la vie.